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Petit catalogue de procédés d’intrigue par Olivier Levallois (n°3)

Technique n° 3 : Le compte à rebours ou timelock


Cinq, quatre, trois, deux, un… On ne présente plus le célèbre Compte à rebours, ce procédé dramatique qui crée un suspens crescendo, en imposant une limite de temps aux personnages devant réaliser une action avant une échéance fatale… ouf.


Cette technique, très impliquante pour le spectateur, est sans aucun doute la star des procédés d’intrigue. On lui attribue même le sauvetage dramaturgique d’un classique devenu mythique : Le train sifflera trois fois de Fred Zinnemann.


© Stanley Kramer Productions


Will Kane (Gary Cooper), shérif d’une petite ville isolée de l’ouest a à peine plus d’une heure (temps réel du film) pour convaincre quelques hommes de se joindre à lui pour contrer l’arrivée par le train d’un bandit qu’il a autrefois condamné et qui revient se venger. La légende raconte que l’intrigue du film aurait été sauvée par une idée de dernière minute au montage : introduire les multiples horloges que scrutent régulièrement les personnages durant le déroulé de l’histoire. En renforçant ainsi l’enjeu par le rappel fréquent du temps qui s’écoule inexorablement, ce western est devenu un cas d’école d’usage d’un compte à rebours efficace.


On trouve un très grand nombre de fictions, dans des genres très variés, qui positionnent le compte à rebours dès l’incident déclencheur, comme dans Le train sifflera trois fois. Le décompte dramatique dure alors le temps du film, jusqu’au climax : La guerre des étoiles, Entre le ciel et l’enfer, Force Majeur, la série 24 heures, la plupart des comics Marvel, Les sept samouraïs, la 25ème heure, Armageddon, Rio Bravo, New York 1997, Impossible monsieur bébé, Docteur Folamour, La vie est belle, la plupart des James bond ou des Missions impossibles, Il était une fois dans l’Ouest, The African queen… la liste est infinie.

© Horizon Pictures - Romulus Films


Une fois encore, plusieurs critères doivent êtres réunis pour garantir l’efficacité de ce procédé puissant. 1. Il doit sembler que rien ne puisse empêcher ce compte à rebours d’arriver à son terme. 2. La conséquence de ce compte à rebours doit être vraiment catastrophique pour le ou les personnage(s) : la mort, la perte d’être chers, d’un objet précieux, le départ de l’être aimé, la fin du monde, ou du moins du monde du personnage, etc… 3. Comme on l’a vu dans l’exemple des horloges du Train sifflera trois fois, quand le compte à rebours s’étend sur une longue période de l’intrigue, il faut trouver un moyen simple, visuel et original pour permettre au spectateur de suivre cette progression inéluctable. Un objet-référent du décompte… sans mettre à chaque fois des horloges.


Mais comme la plupart des procédés d’intrigue, celui-ci peut être utilisé aussi bien à l’échelle du film entier comme dans les exemples précédents, qu’à celle d’une séquence ou d’une scène.


On trouve ainsi le procédé de compte à rebours de manière plus fréquente encore, dans la dernière partie de l’acte 2, où il accentue la pression dramatique du dénouement du récit jusqu’au climax, et ce sous de multiples formes : le classique décompte d’une bombe avec horloge dans les films d’actions; ou bien le départ inéluctable de la personne aimée pour un pays lointain ou un mariage à la fin de nombreuses comédies romantiques ; ou encore la mort imminente d’un personnage proche du héros ; une dangereuse chute d’eau qui conclue la descente d’une rivière, l’échéance d’un procès, une loi décisive qui va être promulguée, un document important qui va être détruit, une tour sur le point de s’écrouler, un ultimatum donné par un antagoniste, un bateau sur le point de couler…

© 20th Fox- Paramount pictures


Enfin présent à l’échelle d’une scène, ce procédé vient renforcer sa tension finale. Et il peut prendre des formes qui ne le font pas immédiatement percevoir comme un compte à rebours (n’ayant dans ce cas pas la nécessité de produire un objet-référent du décompte).


C’est le cas par exemple de cette scène de la saison 1 de la série Fargo ou le protagoniste Nygaard attend à l'hôpital pour se faire soigner son nez, cassé par Sam Hess, une brute locale.

© Fox Extended Network


En attendant qu’on vienne le chercher, il se retrouve à discuter avec son voisin de chaise, Malvo, un tueur psychopathe qui au fil de la conversation lui suggère insidieusement de le venger en tuant Hess pour lui. Nygaard troublé ne sait pas quoi répondre, coincé entre son désir de vengeance et sa morale. Malvo attend une réponse : veut-il qu’il tue Sam Hess pour lui ? Une infirmière arrive à ce moment pour demander à Nygaard de la suivre. Nygaard essaie d’effacer le malentendu sur ses intentions auprès de Malvo, qui attend toujours sa réponse. L’infirmière s’impatiente et prévient Nygaard que si il ne vient pas maintenant, elle passera au patient suivant, (compte à rebours). Une tension dramatique supplémentaire est ainsi crée en fin de scène, au moment même où on attend la réponse importante du protagoniste à la proposition méphistophélique de Malvo.


Pour finir, je citerais deux usages de ce procédé de comptes à rebours particulièrement originaux.


Le premier est le vertigineux triple climax des trois rêves imbriqués, suivant trois temporalités, trois rythmes (vitesses différentes), de trois scènes d’actions simultanées et en interactions dans Inception de Christopher Nolan.

© Warner Bros pictures-Legendary pictures


Difficile de résumer cette situation ici. Le plus simple est encore de voir le film. Le compte à rebours est classique, lié à la blessure mortelle d’un des personnages et à la nécessité de finir la mission dans un certain délai au-delà duquel les personnages seront condamnés. Mais l’impact dramaturgique du procédé est démultiplié par la dinguerie du dispositif narratif. Cette idée de trois scènes connectées dans un montage alterné de génie, assujettissant les climax de chacune des trois actions au même compte à rebours, offre une prouesse narrative inédite.


Et second usage original, qui est étrangement aussi en lien avec le rêve et l’inconscient, mais dans un tout autre genre et un tout autre rythme.

© Zentropa


Sur l’image des rails d’un train filant dans la nuit, une voix lente, grave et envoutante ouvre Europa de Lars Von Trier, pour nous plonger dans un état second de contemplation hypnotique, dans les limbes de la conscience. Mais cette fois le décompte est un compte : « … Je vais maintenant compter jusqu'à dix. À dix, vous serez dans Europa. Je dis... un… »


La semaine prochaine vous ne verrez pas une menace se rapprocher.

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